Aujourd'hui, je vous propose un peu de littérature!
Que diriez vous de rencontrer, au détour d'un extrait d'un texte nous parvenant directement du XIXeme siècle, une famille de ratus norvergicus (à la fin certes tragique... mais à la vie de rats domestiques!)?
Allez, c'est parti! Voici l'extrait de Ménagerie Intime, par le sieur Téophile Gautier!
À peu près vers cette époque, deux de ces prétendus matelots qui vendent des couvertures bariolées, des mouchoirs en fibre d’ananas et autres denrées exotiques, passèrent par notre rue de Longchamps.
Ils avaient dans une petite cage deux rats blancs de Norvège avec des yeux roses les plus jolis du monde.
En ce temps-là, nous avions le goût des animaux blancs ; et jusqu’à notre poulailler était peuplé de poules exclusivement blanches.
Nous achetâmes les deux rats ; et on leur construisit une grande cage avec des escaliers intérieurs menant aux différents étages, des mangeoires, des chambres à coucher, des trapèzes pour la gymnastique.
Ils étaient là, certes, plus à l’aise et plus heureux que le rat de La Fontaine dans son fromage de Hollande.
Ces gentilles bêtes dont on a, nous ne savons pourquoi, une horreur puérile,s’apprivoisèrent bientôt de la façon la plus étonnante, lorsqu’elles furent certaines qu’on ne leur voulait point de mal. Elles se laissaient caresser comme des chats,et, vous prenant le doigt entre leurs petites mains roses d’une délicatesse idéale,vous léchaient amicalement.
On les lâchait ordinairement à la fin des repas ; elles vous montaient sur les bras, sur les épaules, sur la tête, entraient et
ressortaient par les manches des robes de chambre et des vestons, avec une adresse et une agilité singulières.
Tous ces exercices, exécutés très-gracieusement, avaient pour but d’obtenir la permission de fourrager les restes du dessert; on les posait alors sur la table ; en un clin d’œil le rat et la rate avaient déménagé les noix, les noisettes, les raisins secs et les morceaux de sucre. Rien n’était plus amusant à voir que leur air empressé et furtif, et que leur mine attrapée quand ils arrivaientau bord de la nappe; mais on leur tendait une planchette aboutissant
à leur cage, et ils emmagasinaient leurs richesses dans leur garde-manger.
Le couple se multiplia rapidement; et de nombreuses familles d’une égale blancheur descendirent et montèrent les petites échelles de la cage.
Nous nous vîmes donc à la tête d’une trentaine de rats tellement privés que, lorsqu’il faisait froid, ils se fourraient dans nos poches pour avoir chaud et s’y tenaient tranquilles.
Quelquefois nous faisions ouvrir les portes de cette Ratopolis, et, montant au dernier étage de notre maison,nous faisions entendre un petit sifflement bien connu de nos élèves.
Alors les rats,qui franchissent difficilement des marches d’escalier, se hissaient par un balustre,empoignaient la rampe, et, se suivant à la file avec un équilibre acrobatique, gravissaient ce chemin étroit que parfois les écoliers descendent à califourchon, et venaient nous retrouver, en poussant de petits cris et en manifestant la joie la plus vive.
Maintenant,il faut avouer un béotisme de notre part : à force d’entendre dire que la queue des rats ressemblait à un ver rouge et déparait la gentillesse de l’animal, nous choisîmes une de nos jeunes bestioles et nous lui coupâmes avec une pelle rouge cet appendice tant critiqué.
Le petit rat supporta très-bien l’opération,se développa heureusement et devint un maître rat à moustaches ; mais, quoique allégé du prolongement caudal, il était bien moins agile que ses camarades ; il ne se risquait à la gymnastique qu’avec prudence et tombait souvent.
Dans les ascensions le long de la rampe, il était toujours le dernier. Il avait l’air de tâter la corde comme un danseur sans balancier.
Nous comprîmes alors de quelle utilité la queue était aux rats ; elle leur sert à se tenir en équilibre lorsqu’ils courent le long des corniches et des saillies étroites. Ils la portent à droite ou à gauche pour se faire contre-poids alors
qu’ils penchent d’un côté ou d’un autre.
De là ce perpétuel frétillement qui semble sans cause. Mais quand on observe attentivement la nature, on voit qu’elle ne fait rien de superflu, et qu’il faut mettre beaucoup de réserve à la corriger.
Vous vous demandez sans doute comment des chats et des rats, espèces si antipathiques et dont l’une sert de proie à l’autre, pouvaientvivre ensemble ? Ils s’accordaient le mieux du monde. Les chats faisaient patte de velours aux rats, qui avaient déposé toute méfiance.
Jamais il n’y eut perfidie de la part des félins, et les rongeurs n’eurent pas à regretter un seul de leurs camarades.
Don-Pierrot-de-Navarre(noted'Athénaïs : l'un des chats de T. Gautier.) avait pour eux l’amitié la plus tendre. Il se couchait près de leur cage et lesregardait jouer des heures entières. Et quand, par hasard, la porte de la chambre était fermée, il grattait et miaulait doucement pour se faire ouvrir et rejoindre ses petits amis blancs, qui, souvent,
venaient dormir tout près de lui.
Séraphita (autre chat de T.G, note encore d'Athénaïs ), plus dédaigneuse et à qui l’odeur
des rats, trop fortement musquée, ne plaisait pas, ne prenait point part à leurs jeux, mais elle ne leur faisait jamais de mal et les laissait tranquillement passer devant elle sans allonger sa griffe.
La fin de ces rats fut singulière. Un jour d’été lourd, orageux, où le thermomètre était près d’atteindre les quarante degrés du Sénégal, on avait placé leur cage dans le jardin sous une tonnelle festonnée de vigne, car ils
semblaient souffrir beaucoup de la chaleur. La tempête éclata avec éclairs, pluie, tonnerre et rafales.
Les grands peupliers du bord de la rivière se courbaient comme des joncs ; et, armé d’un parapluie que le vent retournait, nous nous préparions à aller chercher nos rats, lorsqu’un éclair éblouissant, qui semblait ouvrir les profondeurs du ciel, nous arrêta sur la première marche qui descend de la terrasse au parterre.
Un coup de foudre épouvantable, plus fort que la détonation de cent pièces d’artillerie, suivit l’éclair presque
instantanément, et la commotion fut si violente que nous fûmes à demi renversé. L’orage se calma un peu après cette terrible explosion ; mais, ayant gagné la tonnelle, nous trouvâmes les trente-deux rats, les pattes en l’air, foudroyés du même coup. Les fils de fer de leur cage avaient sans doute attiré et conduit le fluide électrique.
Ainsi moururent, tous ensemble, comme ils avaient vécu, les trente-deux rats de Norvège, mort enviable, rarement accordée par le destin !
Dernière modification le lundi 24 Août 2020 à 16:30:11
§ Un animal est un ami qui ne te juge jamais, t'aime malgré les erreurs et les injustices que tu commet à son égard et sait quand tu as mal! §